La question, chère à Benoit XVI, de l’engagement
des chrétiens en politique est une question complexe sur laquelle nous avons le
projet de revenir plus à fond.
Nous voudrions simplement, ici, pour commencer à
défricher le terrain, revenir sur la prière universelle du 15 aout dernier, que
Mgr vingt-trois, archevêque de Paris, a fait dire dans toutes les paroisses de
France. Elle a été beaucoup commentée. Aussi n’avons-nous pas ici la prétention
de dire des choses très novatrices, simplement de donner quelques perspectives
sur notre manière particulière d’aborder ces questions.
La hiérarchie catholique a la prétention
d’intervenir dans le débat politique sur un certain nombre de questions qu’elle
juge cruciales, et sur lesquelles elle s’est forgé une identité médiatique qui,
non sans raisons, ne fait pas peu pour la rendre intolérable et inaudible à
beaucoup. Le fait qu’elle semble se concentrer sur ces seules histoires de coucheries
et de « bioéthique », quand d’autres questions non moins graves
mériteraient son attention sans paraitre l’obtenir, ne fait évidemment rien
pour améliorer les choses.
Le fait même de vouloir prendre part au débat démocratique,
et donc de prescrire des orientations politiques à des gens qui ne partagent
nullement la foi catholique, est une idée qui mériterait qu’on s’y attarde. En
2009, les évêques de France, sous la direction de Mgr D’Ornelas, s’étaient
ainsi sentis obligés d’intervenir dans le débat sur la révision des lois de
bioéthique en publiant deux fois 130 pages dans lesquelles on ne trouvait pas
une seule référence à l’Evangile. (Le souci de l’exactitude nous pousse à
préciser que l’introduction de l’un des deux volumes contenait, à la suite d’une
mention très vague et très peu pertinente de la figure de Socrate, une
référence lointaine à un passage méconnu de l’ancien testament.) Ce choix
argumentatif est assez logique : dès lors qu’on s’adresse à des gens qui
ne partagent pas la foi catholique ni la référence à l’Evangile, il serait
absurde d’argumenter sur ces fondements-là. Il faut donc descendre dans l’arène
politique avec les seules forces de la raison, et accepter par conséquent de
n’avoir sur ses adversaires, aucune espèce de surcroit d’autorité, aucune force
supplémentaire. Sur un tel terrain, il faut bien accepter, si bien armé qu’on
soit, de s’exposer à des tentatives de réfutation, et même à des réfutations
abouties.
Cette posture jure singulièrement avec l’idée selon
laquelle l’Eglise catholique serait seule dépositaire de la vérité, qu’on a
tellement reproché à Ratzinger d’avoir défendue. Et il faut avouer que voir la
hiérarchie de l’Eglise engagée dans des institutions laïques à défendre la
valeur d’une morale sans Dieu – puisque destinée à convaincre hors de ses rangs
– n’est pas le moindre des paradoxes. Ce paradoxe était déjà bien présent dans
l’encyclique humanae vitae, qui ne
prend guère appui non plus sur l’Evangile, et proclame l’autorité du pape non
seulement en matière de révélation divine mais aussi en matière de « loi
naturelle ».
Les déclarations des évêques qui souhaitent
contribuer au débat sur l’accessibilité du mariage aux homosexuels à un niveau
« anthropologique », perpétuent encore cette étonnante gymnastique.
Il faudra réfléchir un jour à tout cela plus
longuement.
Mais la prière contre le mariage homosexuel lue
dans (presque) toutes les paroisses le 15 aout 2012, ne s’inscrit pas dans
cette logique : c’était une prière, elle était adressée à Dieu et devait
être dite par des gens qui partagent la foi catholique.
La hiérarchie catholique française n’a pas eu tout
à fait la franchise de faire prier contre l’institution d’un mariage civil – et
donc d’une procédure d’adoption – accessible aux homosexuels. Elle a donc fait prier
– dans une formule rappelant assez ses argumentaires contre la procréation
médicalement assistée, l’avortement et la gestation pour autrui – pour que les
enfants « cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes
pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère. »[1]
Que les enfants cessent d’être des objets de désirs
et de conflits, voilà un vœu dont il faut mesurer la portée : nous n’avons
en effet déjà plus souvenir d’un temps où ils auraient pu être autre chose. Tant
il est vrai que les modes d’exercice moderne du pouvoir ont tous fait de
l’enfance un terrain stratégique crucial. La hiérarchie catholique ne pourrait
prétendre y faire exception sans mauvaise foi.
Mais surtout, que faire, dans la glorieuse vision
politique de nos évêques, des enfants élevés par d’autres que leur père et leur
mère, ceux dont un parent est mort ou parti, ceux qui ont été élevés par leur
oncle, leur tantes, leurs frères et sœurs, ou par des gens n’ayant avec eux
aucun lien de sang ? Jésus lui-même, a été élevé comme chacun sait dans
une ambiance de foire inqualifiable. A tel point que ses parents, en visite à
la capitale, ont pu quitter la ville sans s’apercevoir qu’il n’était pas dans
le convoi. L’expert qui, aujourd’hui, le recevrait préalablement à son passage
devant le tribunal, relèverait, au récit de cet épisode, une « défaillance
manifeste de la supervision parentale », comme on dit en langage
d’expertises. Nos évêques, entichés d’anthropologie qu’ils sont, pourraient
lire un peu d’anthropologie et ils constateraient que les sociétés où les
structures de parenté correspondent au couple géniteur ne sont pas légion.
Qu’on ne se méprenne pas sur l’objet de ces
lignes : nous n’entendons pas apporter une énième contribution au débat
sur l’homoparentalité, débat dans lequel nous aurions d’ailleurs honte et de
répéter les banalités que nous avons entendues et d’usurper la place qui
revient aux principaux intéressés[2]. Nous voudrions souligner
ici le genre de posture qui se trouve derrière cette formulation, posture que
l’instinct catholique applique à bien d’autres problèmes que celui dont il
était question en ce 15 août : dans cette façon d’affirmer sans qu’on
sache trop pourquoi la valeur normative d’un mode de vie particulier,
historiquement daté, et de faire apparaitre tout ce qui s’en écarte, tout ce
qui en dévie, comme irrémédiablement déficitaire, définitivement carencé,
misérablement pitoyable, il y a quelque chose qui nous semble terriblement
mortifère – et qui nous a inspiré, en ce fameux 15 aout, un viscéral dégoût et
une insurmontable colère : il ne nous semble pas possible d’idolâtrer à ce
point de pareilles abstractions sans porter en soi une effroyable haine de la
vie. En cherchant à formuler ce qui pourrait être la justification sous jacente
à de telles sentences, nous ne trouvons que ce principe fort douteux :
« l’Autre souffre parce qu’il est Autre et par ce qui le rend Autre, et
pour cette raison, il faut souhaiter pour lui qu’il ne le soit pas. »
Nous nous étions promis, en ouvrant ce blog, de ne
jamais y être dogmatique ni même affirmatif, de nous contenter de jeter partout
où cela semblerait salutaire du scandale et de l’interrogation. Mais ce point
nous tient à cœur : rien ne nous semble plus éloigné de l’Evangile que ces
généralités abstraites : la vie nous semble parfaitement étrangère à cette
idée de conformation à un type optimal déterminé. La vie n'existe pas en
général, qu'elle n'existe que particulièrement, et se confond avec la multitude
de ses germes, dont nul n'embrasse jamais qu'une infime partie.
Par conséquent, l’idée d’argumenter pour déterminer
ce que devrait être quelque chose comme une « juste conception de
l’homme » nous fait horreur. Nous ne croyons pas avoir la possibilité de
nous reposer sur une aucune idée de la nature humaine. Nous nous voyons, en ce
domaine, réduit à faire face au silence avec sérénité. Et il est extrêmement
triste, la colère passée, de voir la hiérarchie catholique française se
précipiter au chevet d’abstractions et de généralités creuses plutôt que
d’accueillir particulièrement chaque fruit que dieu fait croitre. Nos évêques se
sont-ils demandé s’il valait la peine de précipiter la veuve et l’orphelin dans
une irrémédiable disqualification plutôt que d’accepter qu’on puisse laisser
vivre des homosexuels dont ils seront bientôt ravis de baptiser les enfants ?
[1]
Il était aussi question « que tous nous aidions chacun à découvrir son
propre chemin pour progresser vers le bonheur ». Considérant que le
bonheur est un idéal de pourceaux, et habitués à entendre des intentions de
prière, au demeurant fort touchantes, qu’on croirait piochées au hasard des
rayons « développement personnel » de la fnac, nous ne nous étendrons
pas là-dessus.
[2]
Il ne nous semble pas que, dans le concert médiatique qui se déploie ces temps
ci, on ait énormément entendu la voix des enfants élevés par des couples
homosexuels, et tout le monde semble très bien s’accommoder de ce silence. Une
presque exception notable : http://www.franceinter.fr/emission-interception-homosexualite-en-debat-la-parole-oubliee